Le 20/20 spécial Mawazine : Souad Massi
Si le mot humanité était un prénom, ce serait Souad. Si le mot générosité était un nom, ce serait Massi. Souad Massi, c’est la générosité humaine ou l’humanité généreuse et vous le comprendrez en lisant le 20/20 de la chanteuse franco-algérienne qui se livre à nous sans retenue, deux jours avant son concert tant attendu. Ce sera, pour le festival Mawazine de Rabat, au théâtre Mohammed 5. On a hâte !

Souad : Tu sais quoi, pour manger, c’est toujours un café au lait. Pour réfléchir, je prend un café noir ou un thé. Je sens que tout le monde va me trouver intelligente ! (Rires)
2/20 : Comment se passe le shopping avec toi ?
Souad : Je ne peux pas appeler ça du shopping. J’achète des affaires quand il me manque des choses ! (Sourire). Je n’essaie jamais avant d’acheter, je me dis toujours : Si ça me va, c’est bien, sinon je donne, j’ai 4 sœurs ! Je n’ai pas la patience d’attendre, d’essayer…
3/20 : Justement, qu’est-ce que tu aimes porter ?
Souad : J’aime porter des vêtements dans lesquels je me sens à l’aise : des pantalons, des jeans, des baskets. Quand je fais des efforts, je mets des chaussures à talons ! (Sourire) Je suis quelqu’un de pudique donc je ne mets jamais de mini jupe ou de décolleté. Avant j’étais un garçon manqué, ça a laissé des traces…(Rires).
4/20 : Si tu étais des chaussures, tu serais ?
Souad : Attention, j’ai des goûts bizarres ! (Rires). J’aime le mélange, classe confortable…un peu à la Kickers, mais en plus classe et féminin ! Je dépense beaucoup en chaussures par contre. Un jean, je peux l’acheter à 20 euros, mais en chaussures, j’investis beaucoup dans les grandes marques !
5/20 : Si tu étais un bijou ?
Souad : Je ne porte pas de bijoux ! De temps en temps pour sortir, mais vraiment occasionnellement. C’est sûrement dû au fait que, quand j’étais jeune, je voyais les gens autour de moi avec beaucoup de bijoux et je les regardais en sachant pertinemment que c’est quelque chose que je ne pourrais pas avoir…Maintenant, je me mets dans la peau de l’étudiante qui vient me voir et qui n’a pas les moyens de s’acheter ces belles choses. Si je m’habille comme elle, me maquille comme elle et ne mets pas de bijoux, j’aurai le sentiment de partager quelque choses avec elle…Je ne veux pas de décalage, je veux être en fusion avec les personnes qui viennent me voir. C’est un peu bizarre comme philosophie mais c’est la mienne ! (Rires). Je veux aussi casser l’image de l’arabe surmaquillée, surcoiffée, bling bling…
6/20 : Un parfum en particulier ?
Souad : A la nuit de Serge Lutens. C’est un cadeau de ma belle sœur. Je retrouve des senteurs d’enfance, il y a l’odeur du jasmin, du miel…J’adore le parfum !
7/20 : Le passage chez l’esthéticienne, c’est un moment de détente ou un cauchemar pour toi ?
Souad : Tu me croirais si je te disais que je ne vais jamais chez l’esthéticienne ? (Rires). Je fais tout moi-même et mon grand moment de détente, c’est chez le coiffeur qui est une grande amie à moi. Elle me fait un massage de la tête et de la nuque extraordinaire, on papote pendant des heures autour d’un café…c’est très relaxant !
8/20 : Parlons cheveux justement, tu n’as jamais hésité à changer de tête, essayer de nouvelles coiffure…
Souad : Je me suis souvent cherchée…je suis passée de la petite coupe, au carré en passant par les tresses. Mes cheveux ont beaucoup changé. Quand j’étais jeune, ils étaient ondulés, ils sont devenus bouclés et depuis mes deux grossesses, je n’arrive plus à les boucler. J’aime souvent les avoir raides, mais je préfère les laisser au naturel pour être le plus naturelle possible ! (Sourire). Sur scène, j’aime les attacher pour être à l’aise.
9/20 : Tu t’assumes plus aujourd’hui ?
Souad : Absolument, surtout que je n’ai pas vraiment eu d’adolescence ! J’ai eu à m’occuper de la maison, à faire à manger très jeune parce que ma maman était malade. J’ai été responsabilisée tôt. L’adolescence pour moi, ce sont pleins de tabous, pleins de non-dits où j’étais obligée d’être un garçon manqué pour sortir, faire de la musique, du sport…J’étais mal dans ma peau, j’étais plate ! Je ne me sentais pas femme…Je me suis sentie réellement femme, quand je suis tombée enceinte, la maternité m’a redonné confiance en moi en tant que femme.
10/20 : Comment est née ta passion pour la musique ?
Souad : J’ai grandi dans une famille où la musique était très présente : mes parents aiment la musique, on joue beaucoup d’instruments autour de moi, des frères musiciens…Ce n’est pas pour autant que ma famille a facilement accepté que j’en fasse ma vie. Quand c’est des garçons, c’est normal, mais quand il s’agit de filles, c’est plus compliqué. J’ai entendu mon père dire que ça ne se faisait pas dans la famille, que je serai le mauvais exemple pour les petites cousines…Je faisais du rock en plus et à l’époque, ce n’était pas quelque chose qui passait à la télévision ! J’ai débuté au sein d’un groupe de Rock « Atacor », qui existe toujours. Et ensuite, j’ai fait partie d’un groupe de flamenco aussi ! Un peu bizarre, hein ? (Rires). En 1996, en Algérie, il y avait un boom, du changement…mais ensuite la guerre civile a tout stoppé.
11/20 : Ta carrière a donc débuté à Alger. Comment s’est fait l’arrivée à Paris, comment la ville t’as accueillie, musicalement parlant ?
Souad : Je venais d’obtenir mon diplôme et j’avais commencé un stage dans un bureau d’études. C’était très difficile pour moi parce qu’il y avait un réel décalage entre la réalité et la pratique. J’ai eu la chance d’être encadrée par deux très grands architectes. Un jour, j’ai été contactée par une association algérienne « Blade connexion », des anciens journalistes algériens qui m’ont repéré à la télévision et me proposent de participer à un festival qui s’appelle : Femmes d’Algérie. Le but de ce festival était de faire parler des artistes algériennes de leur art, sans parler de la guerre…C’était difficile pour moi, mais cela m’a fait beaucoup de bien ! De rencontrer des gens, des femmes battantes et courageuses m’a donné encore plus envie d’avancer et de faire de belles choses.
12/20 : C’était ton déclic ?
Souad : Tout à fait, c’était en 1997. J’ai participé à trois soirées, on m’a fait la promo sur le site Internet et c’est comme cela qu’un directeur artistique s’est intéressé à mon travail. J’ai eu beaucoup de chance. Autant j’ai beaucoup galéré en Algérie, en tant que femme artiste et avec ma famille, autant j’ai eu de la chance dans les rencontres.
Quand on est une femme et qu’on veut faire des choses un peu différentes, dans un contexte culturel comme le notre, c’est toujours difficile. On est mal vu, on se demande : « Pourquoi être différentes des autres ? ». Mais pourquoi ne pas l’être…maintenant je suis ravie d’avoir suivie mon instinct et je le conseille à tous les jeunes qui sont dans cette situation : Suivez votre instinct…Il faut travailler, être sérieux et correct avec soi même.
13/20 : Justement, votre dernier album parle beaucoup de liberté, du combat des femmes, de politique aussi…
Souad : Pas tellement politique, parce que je ne suis pas dans la provocation. Dans l’album, il y a une chanson dédiée à un maire en Algérie, où je lui demande son attention et lui demande de voir autour de lui : l’état des routes et des infrastructures, les enfants ne vont plus à l’école… Il nous demande de voter pour lui, je lui demande de nous connaître un peu mieux d’abord. Ce n’est pas de la provocation, c’est une façon pour moi de communiquer avec lui, de lui transmettre un message.
14/20 Tu es une vraie femme engagée donc…
Souad : Si c’est cela être engagée, je le suis. J’aime comprendre, j’aime rencontrer les politiques, leur parler, comprendre leurs quotidien, leurs décisions…Je leur demande comment ils travaillent, comment ils ont accès aux informations, sont-ils conscients de ce qu’il se passe ? Et je me rends compte que leur travail n’est pas si facile que cela : il y a beaucoup de dossiers, d’attente, de problèmes. Il y a des obstacles…c’est dur de gérer un pays, de faire des changements radicaux. J’ai pu comprendre un peu mieux.
15/20 : Comment s’est faite la collaboration avec Francis Cabrel ?
C’est une histoire très drôle. J’étais l’invité d’une émission transmise à 4h du matin et le présentateur m’a demandé avec qui je rêvais de travailler. J’ai répondu : « Stevie Wonder et Francis Cabrel ! » (Rires). Francis était devant sa télé ce soir là, il n’arrivait pas à dormir ! Il m’a confié plus tard qu’il s’est demandé pourquoi je ne l’appelais pas ? Je lui dis : « Moi, t’appeler toi ??? » (Rires). Il a fait appel à moi bien après, mais nos plannings ne coïncidaient pas…Paul Weller devait réaliser mon album en Angleterre. Ça ne s’est pas fait. Francis Cabrel a proposé de le faire à sa place. C’est comme cela que "Ô Houria" est né…
16/20 : Tu as quand même réussi à le faire chanter en arabe !
Il faut dire qu’il maitrise plusieurs langues : l’espagnol, l’italien et même un peu l’arabe. D’ailleurs, il se baladait tout le temps avec son petit livret. Il adore le Maghreb et le Moyen–Orient et veut vraiment chanter plus souvent chez nous ! Je lui ai donc proposé de chanter, pour son public maghrébin, un bout de chanson en arabe. Il a hésité, je lui ai écrit les paroles en phonétique et figure toi qu’il l’a fait en une prise et parfaitement ! (Rires).
17/20 : Comment a évolué ta musique, ton style Folk-Rock- Maghrébine ?
Souad : L’évolution ? Je ne dirais pas évolution mais à chaque fois j’essaie, je me laisse aller dans les arrangements. Le dernier album est folk parce que j’avais des revendications, parce que je voulais mettre en avant les paroles, l’histoire des femmes battues, divorcées, trompées. Je n’avais aucune intention au départ d’écrire sur cela, c’est venu tout seul, de par des rencontres, la famille…
18/20 : Vous avez eu un retour par rapport à ces chansons ? Quelles ont été les réactions des fans, des gens autour de vous ?
Beaucoup d’hommes l’ont mal pris et sont venus m’en faire part. C’est commun à la culture arabe de tout généraliser ! (Rires). Ils ont tout de suite pensé que je décrivais tous les hommes comme cela, alors qu’il s’agissait simplement de situations et de réalités de plusieurs femmes, point final.
19/20 : Qu’est-ce qu’on te reproche le plus souvent ?
Un jour, une femme est venue me dire : « Ma fille, j’adore ta musique mais tu ne fais aucun effort vestimentaire ! »(Rires). Je ne l’ai pas mal pris, c’est comme une mère qui conseille sa fille ! On m’a souvent reproché une écriture simpliste, c’est vrai…J’aime faire des métaphores de temps en temps, mais aussi écrire des chansons comme je les ressens et je ne peux pas plaire à tout le monde, c’est bien connu. Tant qu’on ne m’insulte pas, je ne prends rien mal et je suis prête à tout écouter ! (Sourire)
20/20 : Et toi, comment appréhendes-tu ton concert de samedi au théâtre Mohammed V ?
Je n’appréhende rien, je profite, je me sens comme à la maison. J’ai hâte de retrouver mon public. Je pars du principe que les gens qui viennent me voir m’aiment un peu quand même ! (Rires). J’ai toujours le trac 15 min avant de monter sur scène. Mais quand il s’agit d’un public arabe, c’est toujours plus facile parcequ’on comprend les mots, ce que je raconte…il y a forcément plus de complicité. J’ai toujours envie que ce moment dure le plus longtemps possible, parce que c’est un moment vrai, comme peu de choses dans la vie…Ce moment est magique.
On a hâte de vivre ce moment magique !
A samedi, Souad !
Site web officiel : http://www.souadmassi.net